web

Article original ICI

Le génial Kleist a eu le temps d’écrire tant de choses avant de se donner la mort avec la femme aimée à l’âge de 34 ans ! Michael Kohlhaas fait partie de ses œuvres moins connues : c’est une longue nouvelle, de caractère historique et social, qui ne fait pas penser au Prince de Hombourg ou Penthésilée.

Kohlhaas est un marchand de chevaux de la région de Dresde, au XVIe siècle. Il est carré en affaires et goûteux en matière d’équidés : il est particulièrement fou de deux chevaux d’une grande beauté qu’il emmène avec lui dans les marchés où il vend ses bêtes. Un seigneur s’amuse à se moquer de lui et lui dérobe les bêtes tant aimées, pour les maltraiter sadiquement. Honnête commerçant, Kohlhaas devient un homme furieux qui réclame justice, un malheureux à la colère aveugle. Comme le monde aristocratique n’a que faire de ses réclamations et sa révolte, il crée une véritable jacquerie. Le monde paysan vient avec lui assaillir les villes les unes après les autres et mettre le feu au duché. La paix et l’équité pourraient-elle revenir chez cet homme qui est lui-même un braiser ? Les chevaux de la colère sont totalement lâchés.
Gilbert Ponté fait, à partir de ce texte, un spectacle de diseur, de conteur, de parleur. Avec les pierres de la cave de l’Essaïon comme seul décor, sans aucun accessoire, il fait claquer les phrases et le récit de l’auteur romantique. Il imite, discrètement, le mouvement des cavaliers et des chevaux. C’est surtout par sa voix (belle et forte) et par le souffle de son interprétation – près d’une heure et quart sans un temps mort, sans une respiration qui ressemblerait à un temps de repos – qu’il crée une impression de chevauchée, de cavalcade. L’acteur est au galop et ce galop sent la fureur des humbles, le besoin de revanche des gens qu’on a bernés. Il y a du Spartacus, du Mandrin, du Mandela dans l’interprétation de Gilbert Ponté. C’est dire quelle force a ce moment tendu comme un arc et violent comme une canonnade.